Alors que la catastrophe nucléaire est toujours en cours, Jean-François Julliard est en ce moment à Fukushima au Japon. Invité par le bureau de Greenpeace sur place, il rencontre des habitants, et des agriculteurs de la zone sinistrée de la centrale.
Dans la région de Fukushima, nos pérégrinations se poursuivent. Après avoir échangé et écouté les témoignages d’agriculteurs de la région, nous avons pu dialoguer avec des familles. Des familles confrontées au risque immédiat de la contamination, et aux bouleversements que celui-ci a provoqué dans leur quotidien, notamment pour les enfants.
Minako Sugano habite la ville de Date, à environ 50 km à l’ouest de la centrale. Date a été affectée par le panache radioactif dans les jours et les semaines qui ont suivi la catastrophe de mars 2011. Avant cette date Mme Sugano habitait une maison avec ses trois enfants, son mari et les grands-parents. « Le soir, raconte-t-elle, après avoir récupéré les enfants à l’école, on adorait se promener dans la nature, aller cueillir des bouquets et fleur et ramasser des champignons pour les cuisiner. C’était notre moment à nous. »
Je rêvais d’une vie normale »
Ce moment privilégié n’existe plus pour la famille Sugano
Un mois après la catastrophe, sa maison a été contrôlée et on lui a dit que le taux de contamination était important.
La zone a été classée en « recommandation d’évacuation ». Les habitants avaient le choix de rester ou de partir volontairement. « Les enfants ne voulaient pas partir, changer d’école et quitter leurs copains. Mais j’ai décidé de partir le 3 juillet 2011. De toute manière ce n’était plus vivable. Les enfants ne comprenaient pas pourquoi ils n’avaient plus le droit de jouer dehors et pourquoi nous n’allions plus nous promener. La radioactivité est invisible et c’est très difficile à expliquer à des enfants de 3, 4 et 7 ans« .
Les mesures effectuées ne lui laissaient pas le choix. Devant sa maison, à 50 cm du sol (hauteur réglementaire pour mesurer l’impact potentiel sur des enfants) on mesurait 3,4 micro-sieverts par heure. Deux ans après, au printemps 2013, le sol de son jardin, à proximité des gouttières, émettait encore 1,2 million de becquerels par kilo, une concentration qui imposerait de classifier ce sol comme déchet nucléaire en Europe.
A Date city, un poste de mesure de la radioactivité. Le taux est affiché instantanément et visible de tous pic.twitter.com/deWEQpFyDf
— J-Francois Julliard (@jfjulliard) 18 Février 2014
Le sujet de la contamination des enfants a toujours été sensible au Japon. Dans Fukushima city, nous sommes allés constater, trois ans après, que des terrains de jeux totalement accessibles aux enfants affichent encore un taux de radioactivité supérieur à la normale. Et ce malgré un important travail de décontamination. Des écoles ont dû être déménagées pour que les enfants puissent jouer sans danger dans les cours de récréation.
A Date, Mme Sugano travaillait dans un jardin d’enfants. Dans les semaines qui ont suivi la catastrophe, elle était effrayée de voir les enfants continuer à jouer par terre et dans les jardins. Les cancers infantiles de la thyroïde ont augmenté. Selon le laboratoire indépendant français d’analyse de la radioactivité, l’ACRO (qui a monté un laboratoire au Japon après la catastrophe), 26 cas avérés avaient été identifiés à Fukushima en novembre 2013. La proportion est passée de 1,7 cancers pour 100 000 enfants en 2007, à 12 pour 100 000.
« Je suis une maman qui voulait simplement que mes enfants aient une vie normale« , témoigne Mme Sugano qui a du mal à retenir son émotion. « Mais ce ne sera jamais possible maintenant. Je le sais mais je n’ai pas le choix. J’ai décidé de raconter mon histoire en espérant qu’elle puisse être utile à d’autres« .
Quartier de Watari à #Fukushima city, un parc pour enfants où le taux de radioactivité atteint 5 fois la normale pic.twitter.com/VFf9fOaX7d
— J-Francois Julliard (@jfjulliard) 18 Février 2014