Depuis le début du mois d’octobre, des sites nucléaires français ont été survolés par un ou plusieurs drones. Greenpeace a eu connaissance de ces survols au moment où l’information a été rendue publique dans certains médias locaux proches des centrales EDF concernées ou sur les sites internet de ces centrales. Greenpeace a alors enquêté, afin d’allonger la liste, en particulier au niveau des sites appartenant au CEA ou Areva.
Nous avons tenu à démentir, rapidement, toute implication.
Néanmoins, nous ne pouvons rester silencieux face à cette affaire. Car si Ségolène Royal déclare qu’elle « ne laissera quiconque porter atteinte à la réputation de sûreté de nos centrales nucléaires« , la ministre doit saisir qu’ici, ce n’est pas la réputation de nos centrales qui nous inquiète, mais bel et bien leur sécurité, et celle des citoyens.
Car si l’on ne sait pas qui est à l’origine de ces vols et quelle est la nature exacte des drones, comment déclarer qu’il n’y a pas de danger ?
Sur la carte : sites nucléaires survolés par des drones pour lesquels EDF a déposé plainte (et communiqué)
Des sites vulnérables !
Dans 11 cas, (Gravelines, Blayais, Cattenom, Nogent-sur-Seine, Bugey, Chooz, Fessenheim, Flamanville, Dampierre-en-Burly, Penly et Saint-Laurent-des-Eaux), EDF a porté plainte contre X et a publié une information sur les sites internet des centrales, entre le 21 octobre et le 3 novembre.
Aujourd’hui, nous sommes très inquiets de la survenue et de la répétition de ces survols suspects sans qu’aucune réponse sur leur origine ne soit fournie ni par EDF ni par les forces de l’ordre. Car les sites nucléaires sont vulnérables, tout particulièrement par les voies aériennes. En effet, un drone de taille moyenne peut porter une charge suffisante pour endommager – entre autre – le bâtiment de la piscine de désactivation des combustibles irradiés. Ces piscines ont été conçues, lors de la construction des centrales nucléaires, pour permettre la désactivation partielle des combustibles avant leur transport vers l’usine de la Hague. Depuis, la situation a changé : pour économiser (car l’entreposage est gratuit dans les piscines des installations nucléaires mais devient payant dès l’arrivée à l’usine de La Hague) EDF utilise ses piscines de désactivation pour l’entreposage. Le volume de matière stockée sur les sites nucléaires augmente.
En matière de chute d’engin volant, il existe un certain nombre de normes sur les réacteurs qui ne s’appliquent pas pour les piscines. Or, les piscines de désactivation peuvent renfermer plusieurs tonnes, voire plus de 1 000 tonnes de combustibles usés dans différents états de désintégration radioactive, selon qu’ils ont été récemment retirés du réacteur et en fonction de l’ampleur du déchargement. À certains stades de la vie d’une centrale, une piscine de désactivation peut contenir un inventaire radioactif à durée de vie plus longue et à activité plus haute que celui du réacteur auquel elle est annexée.
Dans un rapport publié en 2012, l’expert international sur la sécurité nucléaire John Large analyse en une cinquantaine de pages la sûreté des installations du parc nucléaire français vis-à-vis du risque de chute d’avion.
Le rapport fait état de l’absence de prise en compte du risque d’accident d’avion de ligne sur une centrale mais aussi à ses abords : si le dôme au-dessus du réacteur protège le réacteur en lui-même, les installations annexes ne bénéficient pas du même degré de protection.
Ainsi, une chute aérienne pourrait couper la centrale des sources d’approvisionnement électrique situées à l’extérieur du site et, simultanément, empêcher les groupes électrogènes de secours sur le site de fonctionner. Dans une telle situation, la centrale devrait faire face à une coupure de courant prolongée, et le refroidissement du réacteur et des piscines de désactivation ne serait plus assuré.
Les piscines sont elles encore plus vulnérables : leurs enceintes ne sont pas renforcées comme le sont celles des réacteurs.
Pourquoi ces survols ? Organisation pacifiste ? Mal intentionnée ? Coup de pub ? Toutes les possibilités sont encore ouvertes.
Alors qu’aujourd’hui, nous n’avons aucun indice quant à l’identité des auteurs de ces survols, nous ne pouvons qu’envisager le pire.
Aussi, Greenpeace a d’ores et déjà interpellé la semaine dernière le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité pour obtenir des réponses et des explications de ces survols. On a appris ce week-end que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) se penchait sur le dossier. Le SGDSN dépend de Matignon, qui semble donc reprendre les choses en main. Aujourd’hui c’est donc au Premier ministre que nous adressons notre message.
Greenpeace demande une enquête transparente et approfondie pour identifier au plus vite les auteurs de ces opérations qui menacent la sécurité des installations nucléaires. Et des mesures concrètes à même de démontrer que la sécurité des citoyens français est assurée de manière intangible : les piscines d’entreposage des réacteurs doivent être vidées, et les contre-mesures qui s’imposent doivent être prises face à ces survols.
Ainsi, pour répondre à la question posée directement par ces survols en série, il faudrait « bunkeriser » les bâtiments des piscines afin de diminuer leur vulnérabilité. C’est ce que Greenpeace demande depuis des années, ayant soulevé à de multiples reprises ce point de faiblesse extrême de nos sites nucléaires. Mais cela aura un coût immense (500 millions à 1 milliard d’euros par réacteur selon l’agence spécialisée et indépendante Wise-Paris), et posera une fois de plus la question de la pertinence économique du choix nucléaire.
Enfin, c’est à l’ASN de préciser, sa position sur la résistance des installations nucléaire en général et des piscines en particulier.