En 2016, Greenpeace avait publié un premier rapport dénonçant les pratiques inhumaines de travail forcé ayant cours en mer, à Taïwan. Malgré les promesses d’action, les abus ont continué. C’est la raison pour laquelle Greenpeace revient à la charge et publie un rapport intitulé “Détresse en mer” (lire le rapport : “Misery at Sea”). Ce rapport pointe du doigt la responsabilité de l’Etat taïwanais ainsi que celle de l’entreprise taïwanaise Fong Chun Formosa Fishery Company (FCF), l’un des leaders mondiaux du marché du poisson. Ces derniers, loin d’agir pour la régulation d’une filière vérolée par les scandales de travail forcé, préfèrent fermer les yeux sur les abus commis.
Dans son rapport, Greenpeace apporte la preuve que Taïwan couvre cinq anciens salariés de Giant Ocean, une agence de recrutement, condamnés à 10 ans d’emprisonnement au Cambodge pour trafic d’êtres humains. Loin de purger leur peine, ces salariés ont échappé à la justice cambodgienne et vivent en liberté à Taïwan… où ils continuent de recruter de la main d’œuvre pour les bateaux.
Travail forcé et maltraitance physique
Il est bien sûr impossible de généraliser ces pratiques à toute une filière mais sur les bateaux battant pavillon taïwanais, les témoignages de mauvais traitements en mer se succèdent. Certains abus ressortent régulièrement dans les récits des marins : contrats de travail non réglementaires et sous-payés, violences physiques ou verbales (mauvais traitements, menaces, coups), privation de sommeil, insalubrité à bord…
Triste exemple de ces pratiques inhumaines, le rapport revient sur le cas de Supriyanto, père de famille de 43 ans, décédé lors de sa première mission en mer. Des photos et vidéos apportent la preuve des mauvais traitements et des abus ayant conduit à sa mort.
La justice taiwanaise, pourtant en possession de ces éléments, a conclu à un non-lieu.
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Une filière qui doit être réformée en profondeur
Pour le consommateur, difficile de s’y retrouver. Il est presque impossible de savoir où arrive le poisson pêché dans ces conditions déplorables. La faute au manque de traçabilité.
C’est sur ce manque généralisé de transparence que comptent ces navires pour continuer à opérer leur trafic en toute impunité. Pavillons de complaisance, transbordement en mer, société écran : les techniques sont nombreuses pour brouiller les pistes et éviter de rendre compte de ses actes.
Greenpeace est néanmoins remontée jusqu’à un acteur-clé de la filière impliquée dans plusieurs cas de travail forcé, l’entreprise FCF. Si son nom ne vous dit rien, FCF est bel et bien l’un des trois plus grands négociants de poissons au monde. Cette société taïwanaise fournit plus de 600 000 tonnes de poissons par an, qui finissent sur les étals des poissonniers mais aussi en sashimi ou dans les boîtes de conserve du monde entier. FCF se fournit en poissons auprès de bateaux impliqués dans le travail forcé ou le trafic humain.
FCF n’est qu’un exemple au cœur d’un système corrompu qui doit être repensé à tous les échelons. La surcapacité de la flotte taïwanaise a entrainé de la surpêche et les ressources en poissons se sont effondrées. Pour garantir leur profit, certains armateurs et patrons de pêche n’hésitent pas à faire des économies sur la main d’oeuvre, en ayant recours à des pratiques de travail forcé, en utilisant des personnes déjà en situation de précarité, comme les migrants par exemples.
Taiwan doit urgemment :
- ratifier et appliquer les conventions internationales sur le droit des travailleurs.
- débloquer des moyens pour enquêter puis ouvrir des procédures judiciaires pour les cas de violations des droits humains, et condamner les coupables le cas échéant.
- mettre fin à la surcapacité de sa flotte de pêche, notamment en arrêtant de la subventionner.
- améliorer et renforcer les mesures de contrôle et de surveillance de l’activité de pêche.
- interdire le transbordement en mer.
- intégrer à la réglementation une obligation de transparence et de traçabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement afin de garantir aux consommateurs leur droit de savoir ce qu’ils mangent.
A Taïwan comme ailleurs, le travail forcé en mer ne peut pas rester impuni.