Le thon rouge a-t-il été sauvé ?
La campagne pour la préservation du thon rouge a défrayé la chronique pendant plus de 10 ans. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Retour sur une campagne phare
Dans notre premier rapport sur le sujet, en 1999, nous annoncions que le nombre de thons rouges adultes avait diminué de 80 % au cours des vingt années précédentes.
Cette espèce emblématique de la Méditerranée est pêchée depuis plus de 7000 ans. Jusqu’aux années 1970, la pêche au thon rouge était avant tout artisanale, pour approvisionner un marché local. Puis on a commencé à pêcher à la senne, un long filet circulaire qui permet d’encercler des bancs entiers et de capturer jusqu’à 100 tonnes d’un seul coup. La pêche s’est alors intensifiée et concentrée sur les zones de reproduction du thon rouge. On estime que le nombre de thons rouges a diminué de plus de 80 % en quelques décennies.
Les thoniers senneurs se sont donc multipliés et ont déployé des trésors de technologie et toute une chaîne logistique pour pêcher toujours plus : radars, sonars pour repérer les bancs, cartes satellites, avions de repérage, cargos surgélateurs, remorqueurs de cages à thons, fermes d’engraissement. Le poisson n’avait plus aucune chance de s’en sortir. En quelques années, les captures ont atteint les 60 000 tonnes par an et au début des années 2000, tous les signaux étaient au rouge. Il fallait réagir.
À la suite des campagnes menées par des ONG, dont Greenpeace, la tendance s’est inversée dans les années 2010 grâce à une baisse significative des quotas et du nombre de navires industriels actifs, des contrôles renforcés. La population a commencé à se reconstituer, et ce cap doit être maintenu car le stock n’est pas encore à son niveau d’équilibre.
Comment le thon rouge a peut-être été sauvé
La Commission Internationale pour la Conservation des thonidés de l’Atlantique (ICCAT) est la commission des Nations unies qui gère la pêche au thon rouge en Méditerranée. Son inefficacité a longtemps été dénoncée. En effet, les principaux pays pêcheurs, au premier rang l’Union européenne qui détient plus de 50 % du total autorisé de capture (TAC) et surtout la France et l’Espagne (les plus gros pêcheurs de thon), ont défendu les intérêts à court terme des thoniers industriels, empêchant par exemple toute baisse des quotas. Ces derniers ont toujours été fixés très au dessus des recommandations scientifiques et n’ont plus jamais été respectés.
Face à la pression des ONG, dont Greenpeace, aux inquiétudes des scientifiques et à une prise de conscience de la population, la situation a commencé à évoluer : réduction des quotas, plan de contrôle, réduction des capacités de pêche.
Cependant, ces efforts n’étaient pas à la hauteur des enjeux, et le risque d’un effondrement imminent de la population de thon rouge perdurait. En 2010, c’est vers la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), autre organisation des Nations unies , que les espoirs se sont tournés pour mettre fin au pillage de l’espèce. Mais sous la pression du Japon, la CITES n’a pas interdit le commerce international du thon rouge. Pendant la saison de pêche 2010, Greenpeace s’est mobilisée pour tenter de libérer les thons rouges capturés en Méditerranée avec le Rainbow Warrior et l’Arctic Sunrise.
Enfin, en novembre 2010, la conférence de l’ICCAT s’est tenue à Paris. Les militants de Greenpeace ont rappelé au ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, Bruno le Maire, qu’il ne restait plus que quelques jours pour sauver le thon rouge. Après plus de cinq ans de campagne, nous avons enfin obtenu une réduction du quota de pêche, du nombre de navires autorisés, plus de contrôles et une meilleure traçabilité. Ces mesures ont permis aux stocks de thon rouge de repartir à la hausse (bien qu’il ne soit toujours pas restauré aujourd’hui).
Le risque serait de céder à la pression des industriels de la pêche qui demandent encore et toujours une hausse des quotas. Cela mènerait le thon rouge tout droit à la catastrophe. Il est encore trop tôt pour crier victoire.
Quel avenir pour les thons rouges et les pêcheurs ?
Le thon rouge a incarné tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de gestion des pêches : les institutions et les pêcheurs industriels ont pillé l’espèce, mais c’est aujourd’hui l’industrie elle-même qui en paie le prix.
Le thon rouge est un produit de luxe qui se vend très cher (jusqu’à 1000 €/kg dans les restaurants huppés). Ce sont surtout les Espagnols et les Français qui le pêchent, même si en France il n’est pas beaucoup consommé, exception faite de la consommation locale traditionnelle dans le sud de la France. Les artisans de la région PACA et du Languedoc sont les premières victimes de la surpêche industrielle. Ils ont très peu de quotas et souffrent de la disparition de la ressource.
Environ 80 % des prises sont faites vivantes et après avoir été engraissées plusieurs mois dans des cages essentiellement situées autour de Malte, partent au Japon pour le marché de luxe du sashimi.
C’est donc un produit de la mer qui est très prisé, un objet de convoitise. Le stock n’est pas encore à l’équilibre et toute pression pour revoir les quotas à la hausse risquerait d’entraîner le retour des scénario catastrophe du début des années 2000… Il faut rester en alerte pour confirmer cette avancée.