Trafic d’armes et bois illégal

Ce 13 mars avec nos partenaires des ONG Sherpa, Global Wittness et Green Advocates, nous avons déposé plainte – avec constitution de partie civile – contre un des principaux marchands de bois de la planète : le groupe danois DLH.

Depuis quatre ans, nous tentons d’obtenir l’ouverture d’une enquête sur du bois acheté par cette entreprise, qui a servi à financer des armes pour le régime de Charles Taylor, ancien dictateur du Libéria, qui purge depuis 2012 une peine de 50 ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

action au port de Caen, Janvier 2014

Bois contre munitions

Le cas du « bois de guerre » libérien, vendu en toute illégalité pour payer les armes de l’un des conflits les plus sanglants du début du siècle, illustre trop bien les conséquences du pillage des ressources naturelles en Afrique. Sur le terrain, et à travers les comptes rendus que je reçois de nos partenaires à travers le monde, je peux prendre la mesure de l’injustice que constitue ce trafic. Deux fois victimes, les habitants des régions forestières subissent d’abord la violence et les outrages des compagnies forestières, avant de se retrouver sous le feu des armes de régimes corrompus financés par le commerce du bois illégal.
Est-ce un hasard si les mêmes bateaux qui transportent le wengé et l’afrormosia vers l’Europe repartent parfois vers l’Afrique chargés de munitions et de gilets pare-balles ?

Pourtant, l’Europe s’est dotée d’une législation pour lutter contre le bois illégal. En vigueur depuis le 3 mars 2013, elle a pour but de bannir du marché européen les produits dont la légalité ne peut pas être démontrée. Mais comme nous l’écrivions en décembre, la France se fait prier pour appliquer le règlement.

action au port de Caen, Janvier 2014

Qu’est-ce que le bois illégal ?

Après la saisie de bois illégal par Greenpeace sur le port de Caen en janvier, j’ai eu l’occasion, avec d’autres représentants d’ONG, de rencontrer le cabinet de Stéphane le Foll, le Ministre de l’agriculture et de la forêt. Nous nous insurgions contre le fait que le projet de loi français ne retranscrit qu’une partie des obligations du règlement européen. La loi prévoit ainsi de sanctionner les importateurs s’ils n’ont pas fait d’enquête sur l’origine du bois… mais pas de les sanctionner s’ils vendent effectivement du bois illégal !

Il s’est avéré que la raison de cette situation absurde tient dans le concept même de « bois illégal ». Le règlement européen donne une définition très claire : « récolté en violation de la législation applicable dans le pays de récolte « . Mais les conséquences de cette définition sont de nature à effrayer le Gouvernement : un juge français devra dire si la législation, par exemple du Congo, a été respectée lorsque le bois a été coupé. Un juge français se prononçant sur la base du droit congolais ! Une situation que la France tient à éviter, au nom, dit elle, de la souveraineté. Légal ou illégal ? La France refuse de trancher.

(c) Greenpeace / Pierre Baëlen


« Je la reconnais lorsque j’en vois »

Dans un arrêt resté célèbre de la Cour suprême des États-Unis, le juge Potter Stewart déclarait : « Je ne peux pas vous donner une définition de la pornographie, mais quand j’en vois, je sais que c’en est « .
C’est un peu la même chose pour le bois illégal : s’il n’est pas possible d’en définir à l’avance les caractéristiques, tant les causes d’illégalités peuvent être nombreuses (non respect des quotas de coupe, absence d’autorisation, falsification des documents, maquillage des grumes, etc.) autant que discutables (que dire d’une cargaison déclarée illégale par une autorité provinciale par exemple, mais dont le permis d’exportation a été signé par un ministre?), il n’en reste pas moins que l’illégalité de certaines cargaisons saute aux yeux.
Il est alors possible, grâce au travail des membres de Greenpeace à travers le monde et à celui d’autres ONG internationales ou locales, de réunir des dossiers solides pour suggérer l’illégalité d’une cargaison. Mais il n’appartient pas aux ONG ou à la société civile seule de trancher définitivement cette question. C’est le rôle de la justice et d’un juge.

action au port de Caen, Janvier 2014

Il est nécessaire que des juges soient amenés à se prononcer sur le caractère illégal du bois qui entre sur le territoire européen, pour que soit définie petit à petit une norme de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, afin d’obliger les pays producteurs à proposer un cadre plus solide, plus contraignant et plus fiable pour la gestion des dernières forêts intactes de la planète.

Si Stéphane le Foll, et ses homologues européens n’ont pas le courage de trancher la question de la légalité, le règlement européen aura manqué son objectif, aux dépens – une fois de plus – des populations des pays forestiers.

Pour plus d’informations sur les achats de bois de la guerre par DLH, consultez le rapport de Global Witness (uniquement disponible en anglais) Bankrolling Brutality: Why European timber company DLH should be held to account for profiting from Liberian conflict timber, 2010.