Trois façons dont la France finance l’effort de guerre russe en Ukraine

1. Le gaz

Les activistes de Greenpeace dénoncent l’arrivée de GNL russe dans le port de Montoir de Bretagne.
Mars 2022, © Baptiste Roman / Greenpeace

En 2024, la France est devenue le premier importateur européen de gaz liquéfié (GNL) russe, malgré une baisse de la consommation française de gaz. Avec une hausse de près de 80 % par rapport à 2023, le GNL russe débarqué en France a ainsi rapporté environ trois milliards d’euros à des entreprises russes.
 
L’ensemble des pays de l’Union européenne auraient importé l’équivalent de 206 milliards d’euros d’énergies fossiles russes depuis le début de la guerre. En comparaison, le soutien à l’Ukraine est évalué à 144 milliards d’euros par le Conseil européen…
 
À qui cette grande hypocrisie profite-t-elle ? Notamment à TotalEnergies, qui peut ainsi continuer à vendre et acheter du gaz russe, en plaidant qu’en l’absence de sanctions directes, elle en a le droit. TotalEnergies contribue ainsi indirectement au financement de la guerre de V. Poutine, mais aussi au réchauffement de la planète, le GNL étant considéré comme une bombe climatique bénéficiant pourtant d’un soutien sans limite des banques et des investisseurs. Business is business… 
 

2. Les engrais chimiques

Manifestation pour la paix à Budapest, en Hongrie.
Mars 2022, © Bence Jardany / Greenpeace

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les industriels européens ont réduit leur production d’engrais chimiques à cause des tensions d’approvisionnement sur le gaz, matière première essentielle pour les producteurs d’engrais chimiques. La France a compensé cette réduction de la production européenne en important massivement des engrais chimiques… depuis la Russie ! Ainsi, les importations françaises d’engrais chimiques russes auraient bondi de 402 000 tonnes en 2021 à 750 000 tonnes en 2023, soit une hausse de 86 %.
 
Grâce aux taxes mises en place par V. Poutine sur les entreprises qui fabriquent ces engrais chimiques et sur les exportations de ces produits, le régime russe aurait empoché quelque 710 millions d’euros depuis 2023.
 
Comme le gaz, les engrais chimiques ne sont pas soumis aux sanctions européennes…
 
Notre modèle agricole industriel, fortement dépendant des engrais chimiques importés, est d’autant plus fragilisé par les incertitudes et les risques liés au contexte géopolitique actuel. Pourtant, au lieu de chercher à renforcer notre souveraineté alimentaire en instaurant des systèmes agricoles plus autonomes, résilients et écologiques, la nouvelle loi d’orientation agricole, tout comme la proposition de loi Duplomb qui sera prochainement discutée à l’Assemblée nationale, continuent de favoriser un modèle productiviste, dépassé et vulnérable.
 

3. Le nucléaire

Les activistes de Greenpeace perturbent le chargement de cargaisons d’uranium usé à destination de la Russie, dans le port de Dunkerque.
Octobre 2021, © Jérémie Jung / Greenpeace

Le nucléaire, ce fleuron industriel français, garant de notre indépendance énergétique… Vraiment ?
 
Depuis des décennies, l’industrie nucléaire française travaille en étroite collaboration avec Rosatom, entreprise d’État russe créée par V. Poutine. Véritable bras armé de l’État russe, Rosatom a joué un rôle dans le premier détournement historique d’une centrale nucléaire civile à des fins militaires lors de la prise de contrôle en 2022 de la centrale de Zaporijia en Ukraine, occupée depuis par l’armée russe. Rosatom est ainsi devenue une entreprise criminelle, complice de crimes et d’exactions commis au sein de la centrale, sur le personnel ukrainien, et participe à faire planer la menace nucléaire sur le peuple ukrainien et européen.
 
Aujourd’hui, la France reste 100 % dépendante de la Russie pour la conversion de son “uranium de retraitement” (l’uranium issu du combustible après utilisation dans les centrales nucléaires). Les autorités russes ont également la mainmise sur une énorme partie des importations françaises d’uranium naturel, via le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Une grande partie de l’uranium enrichi (nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires) est également importée de Russie, et la totalité de l’uranium ré-enrichi.

Par ailleurs, des entreprises françaises comme Framatome continuent de fournir à Rosatom des technologies de pointe à double usage (civil et militaire). Cette collaboration technique alimente directement le développement du programme nucléaire russe, en Russie comme à l’étranger. 

Aujourd’hui, l’inscription de Rosatom sur la liste des sanctions européennes est bloquée par la Hongrie. Près de 50 % de l’électricité hongroise est générée par des réacteurs russes, et deux réacteurs sont en cours de construction par Rosatom à Paks, dans le centre du pays… La France se cache derrière le blocage hongrois pour continuer ses relations économiques avec Rosatom, sans en assumer publiquement la responsabilité. 

Alors que la France, avec l’Union européenne, mobilise des milliards d’euros pour renforcer son soutien militaire à l’Ukraine, elle continue de soutenir la machine de guerre du Kremlin à travers ses achats de gaz, d’engrais chimiques et d’uranium russes. Tant que ces dépendances subsisteront, les efforts pour faire revenir la paix en Ukraine et renforcer la souveraineté stratégique de la France et de l’UE resteront vains. Il est essentiel de bâtir une réelle indépendance énergétique et une véritable souveraineté agricole pour assurer la sécurité de la France et de l’Union européenne à long terme. Une transition énergétique et agro-écologique ambitieuse n’est pas seulement un impératif écologique : c’est une urgence géopolitique.