Billet rédigé par Axel Renaudin, qui a suivi le procès en direct – son flux twitter : @AxelRenaudin
Mardi dernier un nouvel épisode d’un procès pas comme les autres a pris fin au tribunal correctionnel de Nanterre. L’affaire de l’espionnage de Greenpeace par EDF a tout de l’intrigue d’une fiction : huit prévenus dont un ancien « agent secret » français, un ancien amiral de la Royale, un ancien policier de la brigade du banditisme, un ancien militaire et un fleuron de l’industrie hexagonale, EDF.
Edf rend visite à Greenpeace….. par gpfrance
Publicité EDF en 2007 … Nous aurions dû nous douter de quelque chose…
Un bref rappel de l’affaire : tout commence par la découverte d’une intrusion informatique dans le Laboratoire national de dépistage du dopage. Lors de la perquisition chez Kargus, officine responsable de cette opération, on découvre que l’ordinateur d’un collaborateur de Greenpeace France, a également été infiltré. En avril 2009, le juge Thomas Cassuto ouvre une instruction. Greenpeace se constitue rapidement partie civile.
Dix jours durant le tribunal a essayé , au fil des auditions, expertises, plaidoiries, réquisitions, de comprendre le scénario de l’affaire.
La première journée d’audience était ainsi destinée à mieux cerner les personnalités des mis en examen, personnages principaux. Le tribunal ouvre alors une porte vers un univers habituellement dans l’ombre: le milieu du renseignement.
Le fondateur de Kargus,Thierry Lohro, ancien de la DGSE (Direction générale de sécurité extérieure), explique clairement qu’EDF lui a demandé d’infiltrer les ordinateurs de Greenpeace pour prévenir les éventuelles intrusions de l’association dans des centrales nucléaires. Pour lui, cette mission même si elle comporte un aspect illégal n’est pas amorale ou répréhensible puisque aider EDF à protéger ses centrales, est un service rendu à son pays. Néanmoins, durant l’audience, Thierry Lorho semble touché lorsque l’un des avocats des parties civiles évoque les questions d’honneur, et admet réaliser son « erreur ».
Pour remplir sa mission, le patron de Kargus, qui n’est pas un spécialiste de l’informatique, fait appel à Alain Quiros, un « hacker autodidacte passionné d’informatique ». Ce dernier déclare avoir été fasciné par cet ancien agent secret et avoir eu l’impression d’intégrer un monde à la James Bond. Il remplit donc sa mission en infiltrant en 2006 l’ordinateur de l’ancien directeur des campagnes de Greenpeace. Ce petit génie de l’informatique dit lui aussi regretter ses actions et apparaît, dans la salle d’audience comme un petit garçon qui se ferait gronder par ses parents.
Les deux responsables de la sécurité nucléaire d’EDF en 2006 viennent ensuite à la barre. Eux, ne regrettent rien. Et ne reconnaissent rien. Ils ne pensent pas avoir commis de faute puisque d’après leurs déclarations, ’ils n’ont jamais demandé à Kargus d’espionner Greenpeace. Le numéro 2 de la sécurité nucléaire de l’époque, ancien « grand flic » de la brigade de répression du banditisme, atteint à la barre le sommet du déni : en déclarant ne pas avoir pris connaissance des informations issues du travail de Kargus alors même que le CD rom contenant ces informations a été retrouvé dans le coffre fort de son bureau !
Son patron au moment des faits, ancien amiral, nie également : il dit avoir signé un contrat avec Kargus portant sur une « veille stratégique sur internet » sur Greenpeace et les autres ONG environnementales. Difficile à croire étant donné que de l’aveu même du représentant d’EDF cette tâche de veille est effectuée en interne depuis une dizaine d’année.
Dans cette affaire, la « personne morale » EDF a bien du mal à se défendre… Pour elle, ses subordonnés ont commis une faute en signant un contrat alors qu’ils n’avaient pas la délégation légale pour le faire. Pour autant elle ne reconnait pas non plus l’espionnage arguant que Greenpeace n’est pas un « ennemi ». Cette stratégie de défense ne semble pas avoir convaincu le procureur de la république…
Au terme d’un réquisitoire fleuve d’environ 4h, le représentant du parquet réclame la condamnation d’EDF et l’amende maximum : 1 500 000 €
Cette demande est expliquée comme suit par le procureur : « Nul ne doit se sentir autorisé à violer la loi, quels que soient sa fonction, son passé et l’état de ses réseaux d’influence. C’est ce message solennel que vous devez, par votre jugement, adresser aux prévenus. »
La présidente de la quinzième chambre du tribunal correctionnel de Nanterre annoncera le verdict le 10 novembre.
Mais quoi que le tribunal décide, cette affaire apporte déjà une chose inédite : jamais depuis l’existence de Greenpeace , le procureur de la République n’a réclamé une amende aussi importante à l’électricien français.