Depuis 3 ans, les expertes et experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques travaillent sur un rapport scientifique de l’état de la biodiversité dans le monde. Les médias comparent ce travail colossal à celui du GIEC sur le climat, et présentent l’IPBES comme le “GIEC de la biodiversité”.
Des médias ont pu consulter la dernière version du rapport avant sa publication officielle, et le constat est sans appel. Selon l’IPBES, jusqu’à un million d’espèces animales et végétales pourraient être menacées d’extinction dans les prochaines décennies. On parle bien ici de la sixième extinction de masse des espèces. En cause : l’utilisation des terres (agriculture, déforestation, etc), la pression directe sur les ressources (chasse, surpêche…) et les impacts du changement climatique.
L’inaction politique en cause
Le rapport relève en effet que la plupart des objectifs d’Aichi, contractés par les Etats en 2011 sous l’égide de l’ONU, ne seront pas atteints à l’échéance fixée à 2020. Les Etats s’étaient par exemple engagés à mettre un terme à la déforestation d’ici 2020 et à restaurer les écosystèmes dégradés. Or, chaque année, l’équivalent d’un quart de la superficie française est déboisé au niveau mondial, avec le Brésil, la République Démocratique du Congo et l’Indonésie en tête.
Il y a donc urgence à progresser sur les mécanismes de mise en oeuvre avant la COP15 de la biodiversité, qui doit se dérouler en Chine l’année prochaine et accoucher d’un accord international plus engageant pour les prochaines années. Les forêts, les tourbières et les écosystèmes marins côtiers doivent être protégés ou restaurés. Combiner conservation de la biodiversité et réduction drastique des émissions de CO2 et stockage accru de carbone dans la nature peut contribuer de manière significative à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Ce sont les actions essentielles et immédiates qui peuvent nous aider à sortir du bord du gouffre. Pour rappel : les forêts abritent 80% de la biodiversité terrestre.
Le rapport confirme également la dégradation rapide et généralisée de la biodiversité marine :
- D’après les scientifiques (IPBES) : plus de 40% de l’environnement marin montre des marques sévères de dégradation, la cause de cette dégradation est clairement anthropique.
- Plus de 80% des stocks de poissons sont surexploités ou pleinement exploités (chiffre FAO).
- Seulement 1% de l’océan global fait l’objet d’une réelle protection.
Afin d’endiguer cette dégradation rapide et généralisée des habitats et des espèces marines, la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il faut protéger au moins 30% des océans d’ici à 2030 (ZEE + haute mer). Fort de ce constat, il faut maintenant que les États s’engagent à respecter cette recommandation scientifique en signant un traité ambitieux.
Or, aujourd’hui on ne dispose pas des instruments juridiques pour le faire. Ce sera donc le rôle du traité de fournir les instruments nécessaires afin de créer en haute mer un vaste réseau de réserves marines fortement et/ou intégralement protégées.
En plus de ce rapport, qui devrait dépasser le millier de pages, l’IPBES publiera en fin de semaine un résumé « pour les décideurs » qui devra être adopté par les pays membres de l’IPBES. Au même moment se tiendra à Metz le G7 environnement, c’est-à-dire la réunion des ministres de l’environnement du G7 (France, Etats-Unis, Allemagne, Royaume-uni, Italie, Japon et Canada).
La France est le pays hôte du G7 cette année, et nous savons qu’elle profitera de l’événement pour assurer de la soit-disant importance de la biodiversité et du climat pour le gouvernement, et son engagement sur le sujet.
Les beaux discours et les actes
Pourtant, le discours d’Emmanuel Macron du jeudi 26 avril ne nous a pas rassurés, tant les annonces de style sont restées sans actes concrets. La création d’un comité de défense de la transition énergétique ? Un conseil des ministres resserré. Une « convention citoyenne » de 150 Français.e.s tirée au sort pour débattre des solutions à apporter au changement climatique ? Si impliquer les citoyen.ne.s est toujours une bonne idée, cette nouvelle structure semble surtout repousser encore à plus tard les indispensables décisions structurelles à prendre de toute urgence, et dédouaner l’État.
Sur la biodiversité comme sur le climat, le compte n’y est pas. Le Plan biodiversité présenté par Nicolas Hulot l’an dernier n’était pas accompagné de moyens suffisants, notamment financiers, et aucune traduction législative ambitieuse n’a pour l’instant vu le jour. La France recule sur le sujet des pesticides et rechigne à mettre en oeuvre des politiques qui encourage une réduction drastique de la consommation de viande et de produits laitiers. Une stratégie nationale sur la déforestation importée a bien été adoptée, mais elle ne comporte aucune mesure contraignante, notamment pour les multinationales, et ne prévoit rien pour réduire nos importations de produits associés à des changements néfastes d’utilisation des sols, comme le soja.
Pire, le gouvernement continue de donner la prime aux entreprises destructrices : c’est par exemple le cas avec Total, qui a importé 20 000 tonnes d’huile de palme à sa raffinerie de la Mède il y a quelques semaines. Une huile de palme en provenance d’Indonésie, où la forêt tropicale abrite une espèce d’orang outan menacée. A la clé, un fournisseur connu pour ne pas respecter ses engagements zéro déforestation : Apical.
Pour sauvegarder la biodiversité et la vie humaine associée, il faudra donc en finir avec la République des pollueurs, pour retrouver les voies de l’intérêt général.
Pour en savoir plus :
Interview de Jean-François Julliard sur l’assemblée citoyenne : https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Environnement/Assemblee-citoyenne-transition-ecologique-LEtat-dedouane-responsabilites-2019-04-28-1201018380
Comprendre l’IPBES : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/biodiversite/isr-rse/tout-comprendre-a-l-ipbes-l-equivalent-du-giec-pour-la-biodiversite-147176.html