Alors que la catastrophe nucléaire est toujours en cours, Jean-François Julliard est en ce moment à Fukushima au Japon. Invité par le bureau de Greenpeace sur place, il rencontre des habitants, et des agriculteurs de la zone sinistrée de la centrale.
Tepco. C’est le nom de l’opérateur japonais de la centrale de Fukushima. C’est aussi le nom qui revient, encore et encore lors de nos rencontres de ces derniers jours.
Qu’ils soient parents comme Mme Sugano, agriculteurs, comme Kenichi Hasegawa et Hiroshi Kanno ou encore ancien maire et commerçante, comme les deux témoins que je souhaite vous présenter aujourd’hui, tous désignent Tepco.
« Ma ville était superbe » Katsutaka Idogawa, ancien maire de Futaba
« Certes, au départ, il s’agit d’un tsunami, mais Tepco a failli à ses responsabilités. La compagnie nous avait promis transparence et fiabilité mais elle nous a poignardés dans le dos« . L’ancien maire de Futaba, la ville où la centrale dirigée par Tepco est basée, ne mâche pas ses mots. Katsutaka Idogawa est en colère contre les dirigeants du géant industriel nucléaire japonais.
Quand je suis devenu maire et qu’on m’a dit que le nucléaire c’était sûr à 100%, je l’ai cru. Parce que pour moi c’était un préalable indispensable. »
L’ancien maire a quitté la région. Trop difficile à assumer. Il porte la responsabilité de l’accident. « Ma ville était superbe« , nous explique-t-il en montrant des photos de la plage magnifique et des rues fleuries. « Aujourd’hui c’est fini tout ça. Dans quelques temps, Futaba sera une ville fantôme. La plage est déserte désormais parce qu’elle est recouverte de particules radioactives. Mon pays est occupé par la radiation« . L’ancien élu a perdu confiance dans son pays et ses dirigeants.
Tepco a été régulièrement mis en cause pour sa gestion de l’accident.
Après avoir menti à la population pendant des mois sur le niveau de danger, l’entreprise a tenté de reprendre le dessus et contrôle sévèrement l’information concernant la situation à Fukushima. Régulièrement dépassée par l’ampleur des événements, elle se résigne à communiquer sur les fuites d’eau radioactives qui s’échappent régulièrement de la centrale. Alors que de nouvelles fuites d’eau contaminée ne cessent de se produire, Tepco affirmait récemment ne pas savoir comment gérer sur le long terme les centaines de milliers de litre d’eau contaminée qu’elle stocke dans des milliers de réservoirs installés en urgence autour de la centrale.
M. Idogawa s’est installé à Kazo, dans la préfecture de Saitama, à environ 70 km de Tokyo. Il a fui la radiation. Il saigne du nez tous les jours et se sent extrêmement fatigué.
« Mais tant que ma voix porte encore, je l’utiliserai » M. Idogawa fait le tour du monde depuis deux ans. Il est venu en France visiter la centrale de Penly, dans le Nord. « Lorsque je suis arrivé en France on m’a montré une carte des sites nucléaires dans le pays. J’étais effaré, il y en avait absolument partout ». Bienvenue dans le pays le plus nucléarisé au monde monsieur le maire !
Sur les fruits et légumes bio, les taux de pesticides voisinent avec les doses en becquerels
A Tamura, dans l’épicerie bio de Tatsuko Okawara, sur les étiquettes des fruits et légumes, en plus des habituelles indications sur la présence ou non de pesticides, on trouve des taux de becquerels. Ici, la transparence est de mise et on affiche clairement les seuls maximum à ne pas dépasser concernant la contamination radioactive des denrées alimentaires.
A #Fukushima le taux maximal autorisé de radioactivité est même indiqué sur les fruits et légumes pic.twitter.com/PkRTfxpGge
— J-Francois Julliard (@jfjulliard) 20 Février 2014
Tatsuko Okawara mène un combat quotidien auprès de ses clients et des habitants de la région. Maintenir une activité bio dans la région de Fukushima est une gageure. Après la catastrophe, elle a perdu instantanément près de la moitié de ses clients. Elle a dû déménager dans un lieu moins contaminé pour pouvoir vendre ses produits. « Notre magasin s’appelle Espere, ça veut dire ‘espoir’ en Esperanto, la langue universelle« , nous explique-t-elle. Mme Okawara fait partie de ceux qui veulent garder espoir et se battre pour que leur région retrouve le sourire.
Pour convaincre le plus grand nombre, elle a monté un spectacle de marionnettes. En trois saynètes, elle retrace l’histoire de Fukushima, avant et après le 11 mars 2011. Le public vient nombreux.
Son rêve serait de jouer devant les industriels du nucléaire et les hommes politiques qui le soutiennent. Lorsqu’on lui propose de faire venir des responsables d’EDF ou d’Areva pour assister à son spectacle, elle jubile.
Mais elle est aussi inquiète pour la jeunesse au Japon. Selon elle, la mobilisation anti-nucléaire n’est pas assez forte. « Les jeunes ont perdu confiance dans la capacité des responsables politiques à prendre les bonnes décisions. La preuve, le nouveau gouverneur de Tokyo et le Premier ministre sont pro-nucléaires. Les jeunes ne se font plus beaucoup d’illusions et rejettent le système en bloc« .
D’ailleurs, la meilleure preuve qu’on peut se passer du nucléaire est la situation actuelle. Toutes nos centrales sont fermées par la force des choses et tout va bien. Nous n’avons pas changé de mode de vie et notre énergie ne vient plus du nucléaire »
à suivre…