Les chefs d’État et ministres participant à la conférence de l’ONU sur le climat à Durban en Afrique du Sud ont finalisé un texte d’accord tôt dans la matinée de dimanche. Plus de 190 pays étaient représentés pendant les 2 semaines de négociations, mais étaient beaucoup moins nombreux dimanche matin, tous n’ayant pas pu jouer les prolongations…
Deux ans après l’échec retentissant de Copenhague, et un an après l’accord en demi-teinte de Cancún, le sommet de Durban était celui de la dernière chance pour le protocole de Kyoto, qui prendra fin en décembre 2012. Ce protocole, aussi limité soit-il, est le seul accord international juridiquement contraignant en matière d’émissions de gaz à effet de serre. 141 pays l’ont signé en 1997 mais pas les États-Unis. A Durban, les pays en développement exigeaient de nouveaux engagements des pays industrialisés pour maintenir en vie le protocole de Kyoto dont la période initiale se termine fin 2012.
L’honneur est sauf. Le protocole est sauvé. Mais sans le Canada, le Japon et la Russie. Et avec des modalités qui restent à définir… en 2012.
En échange, l’Union européenne a obtenu la perspective d’un accord mondial, pour 2020, potentiellement contraignant… ou pas… Cet accord a minima est le résultat de la pression exercée par les principaux pollueurs, menés par les États-Unis. Ils refusent de s’engager seuls alors que des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil ont vu leur taux d’émission fortement augmenter. Ils bloquent dangereusement l’avancée des négociations…
Pourtant l’urgence n’a jamais été aussi forte. Les rapports se sont accumulés sur la table des négociateurs : l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a rappelé qu’en 2010, la concentration atmosphérique des principaux gaz à effet de serre avait franchi de nouveaux records. Et le dernier rapport publié par GIEC prévoit une multiplication des phénomènes climatiques extrêmes.
Le fossé entre la réalité de la crise climatique et l’inquiétude des citoyens, face à l’apathie des décideurs politiques se creuse.
Les pollueurs freineurs
Alors que la situation appelle des mesures urgentes, le dérèglement du climat est un sujet de moins en moins prioritaire dans l’agenda politique international. Dans un nouveau rapport, intitulé Qui nous empêche d’avancer ? (en anglais) Comment les entreprises les plus polluantes s’opposent à l’adoption de mesures concrètes pour protéger le climat, Greenpeace dénonce la passivité de plusieurs gouvernements-clés, États-Unis en tête, qui rechignent à mettre en place une politique climatique ambitieuse, au mépris de l’opinion publique.
Mais surtout, Greenpeace décrit comment une poignée de grandes entreprises parmi les plus polluantes (dont Eskom, BASF, ArcelorMittal, BHP Billiton, Shell et Koch Industries), ainsi que les groupes de pression dont elles sont membres, mènent une véritable croisade pour défendre leurs intérêts, sur tous les fronts : elles s’imposent dans les négociations internationales et torpillent les projets de loi sur le climat envisagés par certains États.
Canada : le lâcheur
L’exemple du Canada est symptomatique des intérêts en jeu : pour le Canada, le protocole de « Kyoto appartient au passé », a déclaré ce 7 décembre le ministre de l’Environnement canadien, Peter Kent, à la tribune de Durban. « Nous avons dit depuis longtemps que nous ne prendrions pas une deuxième période d’engagement dans le protocole de Kyoto. Nous ne bloquerons pas ni ne découragerons ceux qu’ils le font, mais pour le Canada, Kyoto appartient au passé », a-t-il déclaré au cours d’une intervention.
Or le Canada est le principal réservoir de sable bitumineux, un pétrole qui émet jusqu’à 4 fois plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel. C’est le nouvel Eldorado des compagnies pétrolières. Or le Secrétariat des Nations Unies a rendu publique la liste des délégués accrédités à la conférence de Durban. Si on regarde de plus près, on retrouve un bon nombre de compagnies qui investissent au Canada : des représentants de TransCanada, Shell, BP, Chevron, Total, ENI, ExxonMobil et de CAPP. Toutes ces entreprises ont des intérêts financiers importants dans les domaines du pétrole, du gaz naturel et autres industries pétrochimiques. Triste ironie de l’histoire… c’est la même semaine que le Canada a jugé bon d’approuver le projet de Total d’exploitation des sables bitumineux dans la province de l’Alberta.
Et l’Europe ?
En 2009, l’UE s’était laissée mettre à l’écart par les autres grands pays, laissant la main à ceux qui se satisfont de l’absence d’engagements contraignant (au premier rang desquels figurent les États-Unis et la Chine).
A Durban, l’Union européenne se trouvait face à un choix : être le leader des pays défenseurs du protocole de Kyoto, ou s’incliner face aux pays freineurs… ECO, le bulletin émis quotidiennement par les ONG, avait diffusé la semaine dernière un article sur le leadership européen dont nous aurions besoin, et qui rappelait la Commission Européenne à ses devoirs;
Recul sur les forêts
Les négociations sur la protection des forêts (20% des émissions au niveau mondial) ont marqué un net recul. Le mécanisme de Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD) est gravement menacé par l’appétit des marchés Carbone. Greenpeace reste convaincue qu’un mécanisme de financement international pour la préservation des forêts et nécessaire, mais qu’il ne doit pas servir d’échappatoire aux industries les plus polluantes ni se faire au détriment des populations locales. Un an après les engagements ambitieux de Cancun ( = « réduire, stopper, puis inverser la déforestation »), les conclusions de Durban sont lourdes de menace pour le climat, les forêts et leurs populations.
Résultat des courses : le Protocole de Kyoto se poursuivra, mais dans des conditions qui restent à définir. Un fonds Vert est créé pour soutenir les pays en développement, mais il reste une coquille vide. Les États ont fini après moults débats par s’accorder sur la personnalité juridique du Fonds Vert, mais aucun mécanisme de financement n’est mis en place pour alimenter ce Fonds. Enfin le principe d’un accord mondial est acté, mais pour n’entrer en vigueur qu’en 2020, et sans assurance qu’il soit contraignant.
Nous craignions justement que les dirigeants acceptent une date (2020) qui arrangerait davantage les États-Unis. Et ferait perdre 10 ans à la lutte mondiale contre la crise climatique.
C’est le cas.
Les scientifiques sont pourtant clairs : c’est avant 2015 que nous devons inverser la courbe des émissions mondiales de GES. La fenêtre de tir se réduit d’année en année. Pour véritablement progresser, il faut que l’Europe, tout comme la Chine, l’Inde et les pays d’Afrique prennent leurs distances par rapport aux États-Unis et décident d’avancer ensemble.