Après le 11 mars et le début de la catastrophe nucléaire de Fukushima, les représentants de l’industrie nucléaire et le Gouvernement français ont multiplié les apparitions dans les médias, affirmant que si les réacteurs japonais sinistrés avaient été des EPR rien de tout cela ne serait arrivé… Jusqu’à ce matin même Eric Besson qui déclarait sur France Inter : « avec l’EPR, aucune fuite même en cas d’accident majeur »
Pour le moins dubitative sur ces assertions, Greenpeace a commandé un rapport au professeur Helmut Hirsch, expert autrichien du nucléaire depuis plus de 30 ans, notamment auprès des gouvernements allemand et autrichien, et ancien membre d’un groupe d’experts de l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE.
Le principal enseignement de ce rapport (lire l’intégralité en anglais) est que les dispositifs de sécurité de l’EPR sont bien moins importants que ne le suggèrent le groupe Areva et ses soutiens.
Retour sur l’accident nucléaire de Fukushima
La cause immédiate de l’accident est manifestement le séisme qui a touché l’Est du Japon et le puissant tsunami que celui-ci a déclenché. Toutefois, les réacteurs ne sont pas tombés en panne à cause d’un dommage mécanique entraîné par la catastrophe naturelle, mais parce que le tremblement de terre a coupé l’alimentation électrique externe des réacteurs et que le tsunami a mis hors d’état de fonctionner les groupes électrogènes de secours.
Tous les réacteurs nucléaires ont besoin d’électricité pour faire fonctionner leurs systèmes de secours. A Fukushima, dès lors que les réacteurs n’ont plus eu d’électricité pour alimenter les systèmes de refroidissement de secours, la chaleur générée par le combustible nucléaire a commencé à s’accumuler et la situation a empiré au point d’être hors de contrôle. Aussi, la principale leçon de Fukushima, c’est que les réacteurs sont vulnérables en cas de coupure de l’alimentation électrique des systèmes de secours fondamentaux.
Et l’EPR dans une telle situation ?
D’après le rapport du Pr. Hirsch, les concepteurs de l’EPR n’ont manifestement pas prévu de solutions systématiques en cas de coupure prolongée de l’alimentation électrique des systèmes de refroidissement. Outre des groupes électrogènes de secours primaires, l’EPR possède deux groupes électrogènes de secours secondaires, mais ceux-ci ne permettent d’alimenter que quelques-uns des nombreux systèmes nécessaires pour garder le réacteur sous contrôle. Les mesures de sécurité reposent sur l’hypothèse que soit l’électricité fournie par le réseau électrique, soit les groupes électrogènes de secours primaires peuvent être rétablis dans un délai de 24 heures ; or, à Fukushima, la panne totale d’électricité a duré 11 jours !
Donc, en cas de panne du réseau d’alimentation électrique supérieure à 24 heures, l’EPR, pas plus que les réacteurs de précédente génération, ne pourrait refroidir l’eau du réacteur en-dessous de 100 °C et parvenir à un arrêt froid (arrêt stable et sûr) du réacteur. Si le système de refroidissement primaire commençait à fuir ou si le niveau d’eau diminuait à cause de problèmes de refroidissement, la situation deviendrait critique. Sans électricité, un EPR n’aurait, lui non plus, aucun système opérationnel d’injection de bore (le bore est un élément chimique indispensable pour stopper la réaction nucléaire en chaîne) et aucun igniteur ni recombineur d’hydrogène dans le bâtiment contenant le combustible pour empêcher une explosion.
Et pourtant des modifications ont été apportées à l’EPR … pour réduire les options de sécurité !
Areva sous-estime le risque de coupure d’électricité pouvant affecter les centrales nucléaires au point d’avoir amoindri les mesures de précaution entourant l’EPR par rapport au réacteur Konvoi, le prédécesseur direct de l’EPR. De fait, le nombre et la capacité des systèmes de secours de l’EPR ont été réduits en comparaison de ceux de la deuxième génération de réacteurs.
Ainsi, le nombre de groupes électrogènes de secours a été réduit, ces groupes électrogènes de secours doivent être activés manuellement, ce qui augmente le risque d’erreur humaine de la part d’un opérateur dans une chaîne de décision d’urgence, et aucun contrôle aérien du bâtiment abritant les groupes électrogènes n’est prévu.
Pas besoin d’un séisme ou d’un tsunami pour une panne électrique majeure
Les raisons qui peuvent conduire à une défaillance des systèmes électriques principaux ou de secours sont multiples. Les exemples d’incidents et de pannes dans des centrales où les réacteurs ont frôlé le pire existent bel et bien : en Suède en 2006, en Allemagne en 2002 et 2004, en Belgique en 2005, aux USA en 2009 à centrale nucléaire de Brunswick etc.
Eric Besson et les « bêtises de Greenpeace »
Invité ce matin de la matinale de France Inter, Eric Besson, Ministre auprès du ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, chargé de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique a réagi à ce rapport.
A la question du journaliste sur le rapport publié par Greenpeace, le ministre s’agace et répond : « Greenpeace est en campagne permanente c’est son droit ». « Vous trouverez toujours un expert quelconque depuis 45 ans« . Le ministre poursuit : « écoutez, je vais être brutal, Greenpeace a dit tellement de bêtises sur ce sujet depuis tellement longtemps, je ne connais pas le rapport en question, simplement, je vois ce que disent les meilleurs experts internationaux, pas français, ils considèrent que, en l’état actuel des connaissances, l’EPR sera le réacteur le plus sur au monde. »
M. Hirsch, expert autrichien, notamment auprès de l’OCDE en 2005, appréciera donc les propos du ministre.