C’était la fin de la journée et je m’apprêtais à envoyer un dernier email. Je travaillais dans mon appartement, situé en banlieue est de Beyrouth. Toute l’équipe de Greenpeace Moyen-Orient/Afrique du Nord était confinée depuis plusieurs semaines en raison de la deuxième vague de Covid-19, qui s’avère encore pire que la première. Tout à coup, j’ai entendu une explosion au loin, suivie d’une onde de choc si puissante qu’elle a fait trembler mon appartement et mes fenêtres, sans heureusement causer de dégâts. Au Liban, nous ne sommes que trop habitués à ces détonations, mais la vue de ce gigantesque nuage orange nous était inconnue. J’étais en état de choc. Je venais de déménager d’Achrafieh, un quartier du centre de la capitale, et j’ai donc eu beaucoup de chance de ne pas me trouver au cœur de la zone sinistrée.
J’ai immédiatement commencé à échanger des messages avec mes ami·es et collègues, et les spéculations allaient bon train : qu’est-ce qui avait été visé ? Le palais présidentiel ? La maison d’une personnalité politique ? Non. C’était le port de Beyrouth, plus spécifiquement le hangar n° 12 et son stock de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, qui a explosé après avoir pris feu. À cet instant, je ne saisissais pas encore l’ampleur de la catastrophe. J’ai allumé la télévision. J’ai regardé les images de dévastation qui défilaient et le compteur du nombre de victimes qui s’emballait. Le bilan provisoire était de 150 morts et 5000 blessés. J’ai compris que cette explosion n’était pas comme les autres. J’ai appelé mes proches. Tout le monde allait bien. Par chance, ils étaient partis à la montagne ce jour-là.
Avec mes collègues, nous avons rapidement monté une équipe de gestion de crise. D’abord, nous avons vérifié que tous les salarié·es et bénévoles de l’organisation se portaient bien. C’est avec une grand soulagement que nous avons appris que tout le monde était indemne. Après avoir été informé·es quant à la nature de l’explosion, nous avons immédiatement contacté l’unité scientifique de Greenpeace, basée à Exeter au Royaume-Uni, pour qu’elle nous aide à comprendre les risques liés aux substances parties en fumée. À partir de ces informations, nous avons élaboré des consignes pour aider la population libanaise à se protéger des émanations toxiques.
Lorsque le nitrate d’ammonium explose, il relâche de grandes quantités de dioxyde d’azote (NO2), à l’origine des fumées oranges qui ont recouvert la ville avant d’être poussées par le vent vers le nord et l’est du pays. Ce gaz toxique a des effets délétères sur le systèmes respiratoire et peut aussi réagir dans l’atmosphère pour générer un autre dangereux polluant : l’ozone.
À Greenpeace Moyen-Orient/Afrique du Nord, nous avons malheureusement l’habitude de ces gaz : nous menons campagne contre la pollution de l’air causée par le secteur libanais de l’énergie, accro au fioul lourd – l’un des hydrocarbures les plus polluants du monde. La pollution au NO2 forme régulièrement une épaisse couche brune au-dessus de Beyrouth, mais rien de comparable à ce qui s’est produit ce jour-là. Outre les conséquences immédiates de l’explosion, le risque de contracter le coronavirus est toujours présent…Les déplacements des habitants qui doivent quitter leurs maisons détruites ou des personnes qui portent secours aux blessés risquent également de faire monter en flèche le nombre de contaminations, alors que les hôpitaux sont déjà au bord de la rupture.
Plus tard dans la soirée, ma compagne et moi nous sommes rendus dans le centre de Beyrouth pour aller récupérer sa sœur, dont l’appartement était devenu inhabitable. Ce n’est que lorsque je suis entré dans la ville noircie et que j’ai vu des gens complètement affolés dans les rues, que j’ai pris conscience de l’ampleur de la catastrophe. J’avais l’impression d’être dans un décor hollywoodien d’apocalypse. Des immeubles entiers étaient détruits ou défigurés, leurs vitres et façades arrachées. Des voitures transpercées de part en part par des arbres ou des poteaux d’acier. Des gens couraient dans tous les sens. Ce que je voyais était si horrible, je voulais que ça ne soit qu’un cauchemar. Nous avons dû garer notre voiture très loin, en raison des embouteillages, puis marcher jusqu’à l’appartement. Nous n’avons emporté avec nous que les affaires essentielles et sommes retourné·es à l’abri en banlieue.
Aujourd’hui, alors que nous sommes toujours en train de panser nos blessures et hantés par l’idée que nous aurions pu mourir, nous trouvons du réconfort dans la solidarité et la fraternité extraordinaires du peuple libanais après cette terrible nuit. Des personnes viennent des quatre coins du pays pour aider à nettoyer les rues et les immeubles dévastés. Des dons d’expatrié·s libanais·es et de personnes de toutes nationalités affluent de l’étranger. Des habitant·es proposent d’héberger les quelque 300 000 Beyrouthin·es qui ont perdu leur toit.
Notre rôle à Greenpeace est de nous assurer que la population dispose des informations nécessaires pour éviter d’être exposée à la poussière toxique qui a recouvert la capitale et le sol des maisons. Grâce aux images satellites, nous enquêtons sur les types de polluants en cause et sur la pollution engendrée par l’explosion, afin de fournir à la population les informations essentielles qui font cruellement défaut. Le Liban ne dispose pas d’un système efficace de surveillance de la qualité de l’air au sol. Nous ne savons toujours pas si d’autres substances ont explosé ou brûlé avec le nitrate d’ammonium. Nous ne pourrons pas évaluer le véritable impact de cette catastrophe ni conseiller aux habitant·s comment agir tant que toute la lumière n’aura pas été faite sur ces informations essentielles qui font défaut – et nous sommes déterminé·es à apporter cette lumière.
Si vous voulez aider à sauver des vies, vous pouvez faire un don à la Croix-Rouge libanaise ici :
Julien Jreissati, chargé de programme pour Greenpeace Moyen-Orient/Afrique du Nord.
Version anglaise originale. Traduction de Greenpeace France.