Changement de stratégie pour la Sapmer. Les profits à court terme n’étant pas au rendez-vous, la Sapmer abandonne une stratégie qui visait à miser sur la valeur ajoutée, pour s’orienter vers une course frénétique aux volumes.
Cela fait maintenant 2 ans que les ambitions d’expansion de la Sapmer ont du plomb dans l’aile, mais c’est la publication des comptes de l’entreprise pour 2014 qui a été le déclencheur : une perte de plus de 11 millions d’euros !
Qui est la Sapmer ?
Cet armateur réunionnais a pendant longtemps été spécialisé dans la pêche à la légine. Il y a moins de 10 ans, ses dirigeants se sont lancés dans l’aventure du thon tropical.
L’ambition était sans limites : construire en à peine une quinzaine d’années plus de vingt thoniers senneurs dernier cri, construire des usines de transformation à Maurice puis en Papouasie-Nouvelle-Guinée, devenir un acteur clef du sashimi, le thon haut de gamme, s’imposer sur le marché très fermé du Japon, avec comme objectif de dépasser les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en doublant les captures totales de thon tropical des armateurs français.
Pour cela, l’entreprise s’est implantée dans des paradis fiscaux, à Singapour et au Luxembourg. Elle a bénéficié de subventions, levé des centaines de millions d’argent frais et développé une stratégie de marketing et de communication basée sur la valorisation de produits haut de gamme plutôt que sur la course aux volumes. On a même entendu les dirigeants mépriser le « vieux » modèle des armateurs français qui ne faisaient que du thon en boîte.
Une logique purement financière
Mais il a suffi que les profits ne soient pas à la hauteur pour que la maison-mère, le groupe financier Jaccar, reprennent en main les choses, au détriment, bien sûr, de l’environnement marin et des conditions sociales de l’entreprise.
Le virage est radical : baisse des salaires des officiers bretons (jusqu’à -48% !), réduction des effectifs des marins africains, notamment malgaches, mais surtout pression accrue sur la ressource (les patrons des thoniers doivent maintenant capturer 8000 t par an, alors qu’ils plafonnaient a 5000 t).
Pour cela, la Sapmer a décidé de s’inspirer du modèle espagnol, le plus destructeur : réaliser plus de captures avec plus de DCP, et utiliser des navires de soutien chargés uniquement de déployer les DCP.
Une logique simpliste ?
L’action de la Sapmer a perdu 35% environ en un an, passant de 20€ à 12,5€. La direction a donc fixé comme objectif d’augmenter les captures… Les propositions qui se votent lors de l’Assemblé générale des actionnaires de la Sapmer (qui se tient aujourd’hui), sont présentées comme un plan de « sauvetage ». Mais cette stratégie va dans le mur. La Sapmer pourrait même avoir le prix de l’entreprise qui se positionne systématiquement à contre-courant de l’histoire !
Lorsque la Sapmer est entrée dans le business du thon tropical en 2006, il était déjà clair que la puissance de pêche de l’industrie était un problème. Mais peu importe, l’ambition de la Sapmer passe d’abord. Objectif : construire 20 thoniers industriels, capturer plus de 100 000 t de thon par an et vendre ce thon le plus cher possible.
Résultat : comme la Sapmer n’est pas la seule entreprise à construire des bateaux, les prix du thon se sont écroulés. Le prix de référence est autour de 1 000€/t, ce qui pose de gros problèmes de viabilité économique et financière aux armateurs.
En mettant en suspens son plan de construction de 10 thoniers pour le Pacifique, la première réaction de la Sapmer peut sembler logique. Mais la décision qui a suivi est absurde : capturer plus de thons pour compenser la baisse du prix, c’est mener une politique de la terre brûlée… Ce prix bas est justement le résultat d’une surproduction.
Toujours plus de DCP
Quand tout le monde parle de limiter le nombre de DCP, la Sapmer s’engage dans une fuite en avant, en annonçant l’utilisation de navires de soutien destinés à déployer encore plus de DCP.
Le 1er juillet commence la fermeture pour 3 mois de la pêche sur DCP dans le Pacifique. C’est à la veille de cette date que les actionnaires vont valider cette orientation contre-productive.
Et si vous pensiez que la Sapmer avait oublié que les armateurs français se sont engagés à ne pas déployer plus de 150 DCP par navire, détrompez-vous. Elle s’en rappelle bel et bien et va délocaliser l’ensemble de sa flotte aux Seychelles.
Il est à parier que l’augmentation du nombre de DCP ne va pas permettre à l’action Sapmer de remonter et à l’entreprise d’atteindre enfin ses objectifs de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. En revanche, ce qui est certain, c’est que le nombre de requins, de tortues et de toutes les autres espèces prises par les thoniers et qui forment les prises accessoires va exploser, tout comme les captures de thons juvéniles. Ce qui risque de baisser encore, ce sont les prix du thon et la viabilité économique de l’entreprise.
Mais surtout, la Sapmer risque de se laisser distancer par les acteurs les plus durables. Ce sont les entreprises qui feront le pari inverse qui auront toutes les chances de s’en sortir : pêcher moins, pêcher mieux pour vendre plus cher.