"S'ils avaient pu poursuivre les recherches ce jour-là, ma fille aurait peut-être été sauvée. Il est impossible d’ignorer le fait que c’est l’accident nucléaire qui a forcé l’arrêt des recherches."

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ProfilNorio Kimura
Au moment de la catastrophe, Norio Kimura vivait à Okuma, une ville de la préfecture de Fukushima. Depuis, il a vécu la vie d'un évacué ; dans la préfecture de Nagano jusqu'en 2019, et maintenant dans la ville d'Iwaki, à Fukushima. Son ancienne maison au bord de la mer est aujourd'hui utilisée comme lieu de stockage intermédiaire pour les déchets de décontamination nucléaire, dans une zone officiellement désignée comme "difficile à réintégrer". Cependant, Kimura continue de retourner à Okuma pour rechercher sa deuxième fille, Yuna, disparue lors du tsunami.

Le séisme et le tsunami de 2011 dans l'est du Japon ont fait plus de 20 000 victimes, mortes ou disparues. Bien que le tremblement de terre ait été l'un des plus puissants jamais enregistrés, on estime aujourd'hui que 92 % des victimes ont été emportées par le tsunami qui a suivi. Ce raz-de-marée a inondé la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, entraînant une perte de capacité de refroidissement qui a provoqué, la rupture des cœurs des réacteurs les uns après les autres dans une série d'explosions. Déjà submergées par les dégâts catastrophiques causés directement par le tremblement de terre et le tsunami, les autorités ont été mises à rude épreuve dans leur gestion de la crise nucléaire qui se déroulait à Fukushima Daiichi. Les niveaux élevés de radiations en provenance de Fukushima ont ajouté des défis supplémentaires, compliquant encore la gestion déjà difficile de la catastrophe naturelle et retardant les opérations de recherche et de sauvetage.

Une vie brisée ?

Au moment du tremblement de terre, Norio Kimura vivait à trois kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, dans la ville d'Okuma. Après le tsunami qui a ravagé la région, il était encore à la recherche de sa famille disparue lorsque, le 12 mars, l'ordre a été donné d'évacuer un rayon de 10 kilomètres autour de la centrale sinistrée. Avec sa mère et sa fille aînée, indemnes, il a été contraint de quitter Okuma. Toute la ville se trouvait en zone dangereuse, interdite à ses habitants et habitantes, ce qui a compliqué et entravé ses recherches. Dans l'espoir de retrouver les corps de sa famille disparue, Kimura a distribué des tracts dans les centres d'évacuation de la préfecture de Fukushima et de ses environs. Les corps de son père et de sa femme ont été retrouvés en avril, mais sa deuxième fille Yuna, âgée de 7 ans à l'époque, est toujours portée disparue. Fin mai, les forces japonaises d'autodéfense ont enfin commencé à effectuer des recherches dans la zone dangereuse, mais elles n'ont rien trouvé.

Bien que M. Kimura soit désormais autorisé à passer jusqu'à 30 jours par an à Okuma, dans les années qui ont immédiatement suivi la catastrophe, lorsque l'ordre d'évacuation était toujours en vigueur, ses visites dans la ville étaient limitées à un maximum de deux heures, une fois tous les trois mois. À chaque fois, Kimura parcourait les 450 kilomètres qui le séparaient de la préfecture de Nagano, où il vivait en tant qu'évacué, enfilait des vêtements de protection et profitait du peu de temps dont il disposait pour marcher dans les décombres à la recherche de sa fille disparue.

Au fil du temps, des bénévoles ont commencé à rejoindre Kimura dans ses recherches, mais même avec leur aide, il était impossible de fouiller les piles de débris en utilisant uniquement des outils manuels. En décembre 2016, une équipe de recherche du ministère de l'Environnement s'est jointe aux efforts de Kimura et une partie des restes de Yuna ont été découverts non loin de l'endroit où se trouvait la maison de Kimura. Tout ce qui a été trouvé, ce sont quelques fragments d'os du cou enfouis dans les décombres, encore enveloppés dans une écharpe rose Minnie Mouse de l'enfant, tachée de brun à cause des années passées dans la terre. Des tests ADN ont ensuite confirmé que les restes étaient bien ceux de Yuna. Six ans s'étaient écoulés depuis sa disparition.

Après la découverte des restes de sa fille, Kimura a commencé à éprouver une colère toute nouvelle. Connaissant l'endroit où les restes de Yuna ont été retrouvés, il a commencé à se demander si elle n'avait pas d'abord survécu au tsunami, avant de mourir, abandonnée lorsque tout le monde a été forcé d'évacuer.

"Les pompiers volontaires locaux cherchaient dans la zone jusqu'à ce que l'ordre d'évacuation soit donné le 12 mars, raconte-t-il. Ils ont confirmé avoir entendu une voix humaine. Yuna a été retrouvée à proximité, ce qui signifie que c'est peut-être sa voix, ou celle de mon père qu'ils entendaient. S'ils avaient pu continuer à chercher ce jour-là, il est possible que ma fille ait pu être sauvée. Il est impossible d’ignorer le fait que c’est l’accident nucléaire qui a forcé l’arrêt des recherches."

Sous un tas de terre contaminée

La terre et les déchets contaminés générés par les travaux de décontamination dans la préfecture de Fukushima sont conservés dans des installations de stockage intermédiaire en attendant leur élimination définitive. L'ancienne maison de Kimura est située à la limite sud d'une de ces installations, un site qui couvre à lui seul 16 kilomètres carrés dans les zones "difficiles à réintégrer" d'Okuma et de la ville voisine de Futaba.

En 2014, ce terrain a été racheté par le gouvernement, qui a organisé des réunions avec la population locale pour leur expliquer la construction de l'installation de stockage intermédiaire.

"Je leur ai dit que je ne pouvais pas soutenir le projet. Pour commencer, le ministère de l'Environnement n'était même pas au courant de la possibilité que des corps de victimes n'aient pas encore été retrouvés dans la zone. Je n'arrivais pas à croire que ces gens soient venus nous faire la morale sans même prendre la peine de vérifier une telle chose."

Kimura a perdu confiance dans la réponse du gouvernement et refusa les demandes répétées du gouvernement de rechercher Yuna et d’autres victimes, pour que le projet de construction avance. Kimura était contrarié par les rangées de sacs de déchets lourds qui s’amoncelaient dans son ancien quartier. Malgré de tout, porté par son désir si fort de retrouver Yuna et de permettre aux bénévoles qui l'avaient aidé de tourner la page, il a finalement accepté de laisser le ministère de l'environnement mener les recherches. En tant que particulier, il lui était impossible de faire intervenir des engins lourds. La recherche menée par le gouvernement a permis de le faire et a finalement abouti à la découverte des restes partiels de Yuna.

Le site de l'ancienne maison de Kimura est désormais perdu, recouvert par l'installation de stockage des déchets. Cependant, il dit que l'endroit où les ossements de Yuna ont été trouvés n'a pas été aménagé et, bien qu'il continue à chercher les restes de sa fille, lorsqu'il regarde cet endroit intact, Kimura en vient à se demander si le fait qu'il n'ait pas réussi à trouver le corps entier de sa fille ne signifie pas quelque chose.

"J'ai commencé à penser que même si nous ne trouvons pas le reste du corps de ma fille, tant que cet endroit reste intact, il sert en quelque sorte de mémorial. Je sais que Yuna est toujours quelque part là-dedans, mais si nous trouvons le reste de son corps, ce sera fini - il n'y aura plus de raison de garder cet endroit intact. C'est un peu comme si Yuna se cachait pour s'assurer que ce qui s'est passé ici ne soit pas oublié."

Il y a cinq ans, Kimura a commencé à planter du colza sauvage et des tournesols pour apporter un peu de couleur à cet endroit isolé. Lorsque les plantes fleurissent, le site est tapissé de jaune. Il envisage d'ajouter prochainement des plants de coton et de mûrier.

Le véritable moteur de l’énergie nucléaire

Il y a quelques années, lors d'un événement, Kimura a entendu le directeur de la Tokyo Electric Power Company (TEPCO) déclarer que "la production d'électricité protège nos vies". Il a alors commencé à requestionner le rôle des consommateurs individuels dans l'industrie de l'électricité.

"Ça m'a bouleversé. Est-il possible que l'activité de TEPCO, qui dit essayer de "protéger nos vies", ait pu coûter la vie à ma fille ? Je me suis rendu compte qu'en fin de compte, c'est nous, les consommateurs et consommatrices, qui avons laissé TEPCO s'en sortir avec de telles paroles. Même si la faute de TEPCO est claire (pour Fukushima Daiichi), sans un changement plus fondamental dans la société, nous n'avancerons pas. Il est clair pour moi que les centrales nucléaires ne devraient pas être redémarrées, mais en même temps, c'est notre appétit pour l'électricité, plutôt que TEPCO, qui pousse à revenir au nucléaire."

Les compagnies d'électricité ont encouragé les gens à traiter l'électricité comme s'il s'agissait d'une ressource illimitée, et l'énergie nucléaire s'est développée pour répondre à la demande croissante. M. Kimura estime que la fin de l'énergie nucléaire ne restera qu'un objectif lointain si nous ne faisons pas davantage, en tant qu'individus, pour repenser notre consommation excessive et commencer à adopter des modes de vie plus respectueux de l'énergie.

"En ce qui concerne l'installation de stockage intermédiaire, je comprends qu'il soit logique de la placer près du site de la centrale. Mais en fin de compte, il s'agit de ma ville natale et je n'aime pas ça. Une partie de moi a même envie de dire : "Si vous voulez utiliser leur électricité, enterrez les déchets dans votre propre jardin !"

Kimura veut faire passer le message que la prévention des catastrophes, l'accident nucléaire et la contamination radioactive, ainsi que notre consommation quotidienne d'électricité, nous concernent toutes et tous personnellement, et il espère qu'en partageant son expérience personnelle, il pourra un jour sauver une vie.

Plus de vies qui "auraient dû" être sauvées

À cinq kilomètres de l'ancien domicile de Kimura se trouve l'hôpital de Futaba où, au moment de la catastrophe, les niveaux élevés de radiation ont entravé les efforts de sauvetage et d'évacuation des forces d'autodéfense, entraînant des retards qui ont causé la mort de 44 patients en route vers ou après leur arrivée au centre d'évacuation. À l'époque, l'infirmière en chef adjointe de l'hôpital de Futaba a déclaré que "malgré les dégâts dans l'hôpital, davantage de personnes auraient pu être sauvées (sans la complication supplémentaire de l'accident nucléaire)".

Des vies qui auraient pu et dû être sauvées à la suite du tremblement de terre et du tsunami se sont éteintes sans témoins. La présence même de l'énergie nucléaire peut exacerber les crises provoquées par les catastrophes naturelles (tremblement de terre, tsunami, pluie, neige ou éruption volcanique), le terrorisme ou, ce qui est encore plus pertinent aujourd'hui, les épidémies. Les accidents nucléaires sont une tragédie évitable, provoquée par l'homme, et si nous tirons les leçons de ce qu'a vécu la population d'Okuma, nos choix individuels peuvent nous permettre de commencer à nous mener vers un avenir où plus aucune vie qui "aurait dû" être sauvée ne sera perdue.